Suparenpei le Kata perdu ?

Comme vous le savez le Uechi-Ryu est un style qui a huit katas. Cela peut paraitre peu comparé à d’autres styles comme le Shotokan qui en compte une trentaine.

Les trois katas originels ont été appris en Chine par Kanbun Uechi lors de son séjour dans le Fujian (Chine) :

  • Sanchin (clef de voute du système)
  • Seisan
  • Sanseiryu

L’école a ensuite été modernisée par le fils de Kanbun, Kanei. Ce dernier ajouta les exercices d’échauffement (junbi undō) ainsi que des enchainements codifiés des techniques de base (hojo undō) .

Sous la supervision de Kanei 5 Katas furent ajoutés au style :

  • Kanshiwa
  • Dai Ni Seisan (Kanshu)
  • Seichin
  • Seiryu
  • Kanchin

A partir de cet enrichissement le système de l’école reposait maintenant sur huit katas.
On retrouve d’ailleurs l’évocation de ce chiffre 8 dans l’emblème de l’Association Uechi-Ryu d’Okinawa du Sōke (上地流空手道協会) puisque le logo est inséré dans un octogone.

Embleme du Soke
(Uechi-Ryu Karate-Do Association)
上地流空手道協会

Pendant son séjour en Chine, Kanbun Uechi étudia un quatrième Kata (en plus de Sanchin, Seisan et Sanseiryu).
Ce kata appelé Suparenpei (一百零八步) était le kata appris après Sanseiryu.

Après son départ de Chine et quand il prit la décision d’enseigner Kanbun enseigna les trois premiers katas mais pas ce quatrième (pour certains, il estimait ne pas bien le connaître pour d’autres c’était un choix personnel).

Vous pouvez donc imaginer ma surprise lorsque lors de l’été dernier Mattson sensei me demanda d’apprendre ce fameux ‘Suparenpei’ au sein d’un groupe international composé d’une vingtaine de pratiquants (Americains, Canadiens, Russes et Français).

“Peu de personnes le connaissent (ndlr Suparenpei), c’est un kata très intéressant mais très long.
Tu vas y retrouver une évolution des techniques des katas précédents.
Tu pratiques les huit katas depuis plusieurs années maintenant, il est donc important que tu puisses connaître ces évolutions.
Il sera aussi intéressant que tu amènes ta vision de sportif et de coach au groupe puisqu’il va falloir gérer la longueur.
Tu verras ce sera un excellent complément au travail que tu mènes ”.

Que peut-on répondre à cela à part par … ‘OK, on commence quand ?’.

108 Pas / 108 Techniques

Justin Lavasse

D’après Justin Lavasse (élève canadien de George Mattson et de Simon Lailey) qui a mené de nombreuses recherches sur le sujet et a en cours la traduction d’un manuel rare de la boxe chinoise du tigre (1985).

Yībǎilíngbābu 一百零八步 littéralement « 108 pas » aussi connu par les gens d’Okinawa sous le nom de “Suparenpei” est un kata venant de Fúzhōu 福州 transmis dans le style local de la boxe du tigre (虎尊拳).

Il vient de Guōkǒngxī 郭孔熙 (1903-2003) qui fut un élève de Zhōuzhènqún 周振群 (1888 -1968) neveu de Zhōuzihé 周子和 (Shushiwa).
Simon Lailey pratiqua avec Guōkǒngxī 郭孔熙 lorsqu’il partit en Chine. »

La transmission de ce kata c’est fait de la manière suivante :
0 Zhōuzihé 周子和 Shushiwa (création du kata)
1 JZhōuzhènqún 周振群 qui l’enseigna à
2 Guōkǒngxī 郭孔熙 qui l’enseigna à son tour à
3 Simon Lailey

Le kata Yībǎilíngbābu 一百零八步 (108 pas) – suparenpei est d’ailleurs décrit dans le manuel du Hǔxíngquán 虎形拳 (boxe du tigre édition de 1985).

Ce manuel avait été commandé afin de préserver et documenter le style de Zhōuzihé 周子和 (Shushiwa).
D’après mes recherches, ce manuel fut présenté à Okinawa et je pense même qu’il fut présenté à Kanei Uechi à cette époque.
Je n’ai pas d’explication au fait que cet ouvrage ait été ignoré aussi longtemps.
J’espère que ma traduction pourra mieux le faire connaître et aussi faire connaître aux pratiquants de Uechi-Ryu le style originel de Shushiwa. « 

Zhōuzihé 周子和 ‘Shushiwa’

Justin rajoute “Dans les années 70, deux anciens éléves Chinois de Kanbun décidèrent de retrouver leur ancien maître (lorsque Kanbun quitta la Chine Shushiwa le fit remplacer pas un autre enseignant.).

Ils étaient désireux de renouer avec leur ancien Maître et leur montrer leur progression notamment vis à vis du quatrième kata.
Lorsqu’ils arrivèrent sur l’archipel et après quelques jours de recherches ils apprirent que Kanbun était mort.
Ils firent le tour des différents dojo Uechi-Ryu pour trouver des élèves de Kanbun. On leur indiqua de se rapprocher de Seiko Toyama.
Lors de la rencontre avec celui-ci ils réalisèrent Suparenpei pour lui montrer le quatrième kata.

Dans les années 90 Simon Lailey était en Chine et devint un élève de Guokongxi – élève de Zhouzhenqun (neveu de Zhōuzihé/Shushiwa).
Simon y appris les 108 pas (suparenpei).

Ayant entendu parlé de l’histoire du kata perdu, Simon voyagea jusqu’à Okinawa pour rencontrer Seiko Toyama afin de savoir si le kata qu’il avait étudié était bien l’original.
A la fin de la démonstration à Toyama Sensei, celui-ci lui confirma que c’était bien la forme que les élèves chinois de Kanbun lui avaient montré 20 ans auparavant. “

Apprendre les 108 pas …

Notre groupe de travail international composé d’une vingtaine de personnes dont des Américains, des canadiens, d’un Russe et d’un Français commença l’étude du Suparenpei en Août et clôtura officiellement la phase d’apprentissage fin Novembre (le 22 exactement).

Chaque lundi nous recevions une partie de kata à apprendre et à travailler. Chaque Dimanche nous nous réunissions en ligne pour montrer ce que nous avions appris, poser des questions techniques et partager des applications.
La plupart des pratiquants étant basé sur le continent Américain, nous avons du jongler avec le décalage horaire.

Pour Evgeny (Russie) et pour moi la séance avait lieu entre 22h et minuit ce qui transformait nos séances en ‘late evening show’ 🙂 .

Imaginez-vous faire des coups de pieds sautés à minuit devant un écran tout en veillant à avoir la réception la plus silencieuse possible …. pour ne pas réveiller enfants et conjoints en train de dormir ce qui amusait beaucoup les autres membres du groupe …
Comme dit par Evgeny ‘nous sommes des karatékas un peu cinglés quand même’ …. Il est vrai que la passion pousse parfois à faire des choses un peu surprenantes.

Evgeny Rybin lors d’une séance en ligne
(Mattson sensei et Kristin Amirault au centre en haut)

Les séances en ligne étaient organisées par Mattson sensei sous la direction technique de Kristin Amirault (Canada) qui avait apprit le kata de Victor Swinimer (Canada).

Je profite de ces quelques lignes pour remercier chaleureusement Kristin pour son dévouement et son soutien de tous les jours lors de l’apprentissage de Suparenpei.

Kristin Amirault

Les challenges de Suparenpei

En comparaison (par rapport aux 8 katas traditionnels) Suparenpei est vraiment beaucoup plus long et inclus de nouvelles techniques ou des variants de techniques connues.
Le timing mis en place par George Mattson et Kristin pour apprendre le Kata permettait d’avoir un bon équilibre entre notre pratique personnelle et l’étude des ces fameux 108 pas …

Apprendre Suparenpei c’est principalement relever trois challenges principaux :

Le  premier challenge c’est bien entendu l’apprendre …. et ce n’est pas forcément une mince affaire puisque l’on revient sur des axes que l’on a déjà utilisés mais avec des techniques différentes; il y a de nouvelles techniques et des nouvelles positions issues du kung Fu.

Le second challenge c’est de travailler son endurance et pas mal de membres du groupe ont trouvé cela assez difficile surtout si on souhaite le réaliser à une intensité élevée.

A titre de comparaison, me concernant, réaliser un kata lors de mes séances de travail me prend entre 60 et 90sec (suivant la vitesse d’exécution).

Après un mois de travail sur le kata complet, j’étais toujours autour de 3 minutes d’effort pour réaliser Suparenpei.
Cela demande donc une acclimatation d’autant plus que physiologiquement on commence à rentrer sur des filières énergétiques différentes.
De plus il y a peu de temps de récupération pendant le kata.

Le troisième challenge  peut paraître banal pour l’apprentissage de karate c’est d’améliorer votre ‘flow’ (garder l’énergie).
ceci est au départ loin d’être évident avec tous les changements de directions et la durée de celui-ci.

Shoken Tsuki (première lignes de Suparenpei)

Que trouver dans Suparenpei …

C’est toujours compliqué de faire un retour avec assez peu de recul mais comme c’est une question que l’on m’a beaucoup posée je vais essayer d’y répondre.
Tout d’abord cela m’a appris à connaître d’autres pratiquants passionnés de par le monde tels que Kristin, Justin , Jannet, Rik …. mais aussi à mieux connaître ceux avec qui j’étais en contact mais avec qui je n’avais jamais travaillé ce qui était le cas par exemple pour mon ami Evgeny.

C’est cet état d’esprit que George Mattson a résumé lors de séance du 22 novembre « ce groupe de travail est ouvert à toute personne désireuse d’apprendre ce kata perdu, quelque soit sa situation géographique ou son école. Nous sommes là pour travailler librement ensemble, partager et faire connaître ce kata. Je suis très heureux d’avoir mis en place ce groupe qui maintenant travaille comme une famille  » .

D’un point de vue technique, on apprend des mouvements et des dynamiques un peu différentes tel que le Wa-Uke (double blocage) inversé ou la la combinaison blocage circulaire blocage en queue de carpe (mawashi uke / Koi no shippo uchi, yoko uchi) qui est la garde utilisée dans ce kata. Pour ma part, avoir vu des évolutions des techniques que l’on utilise dans les 8 premiers katas me permet d’ouvrir la porte vers de nouvelles applications (Bunkais).

Après, nous avons tous eu l’impression d’apprendre un petit morceau d’histoire comme nous confie Evgeny Rybin (Russie) :
” La plupart des nouveaux katas ont été inventé à Okinawa apportant avec eux la modernisation du style. Le kata Suparenpei est un ancien kata empli de techniques et d’histoire lié à Shu Shi Wa et à Kanbun Uechi. Il est toujours intéressant d’étudier les formes originelles pour mieux appréhender les formes modernes »

Evgeny Rybin (Russie)

A la fin de chaque séance Justin était présent pour expliquer des termes en Chinois mais aussi les évolutions de certaines techniques : un mélange parfait de karate et de culture.

Next Steps pour nos 108 pas :

Il est maintenant temps pour chaque membre de notre groupe de continuer à travailler, améliorer notre Suparenpei, trouver de nouvelles applications, le partager …. et l’enseigner.

Merci d’avoir pris le temps de me lire, merci à Justin et à Evgeny pour leur participation à ce post.

Lionel

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